Vendredi !
Vendredi validé !
Déposer le fardeau
Qui pèse sur le dos
La somme de nos travaux
L'amalgame de nos maux
Relever la tête
Regarder là-bas
La beauté intrinsèque
Écouter
La musique parfaite
L'histoire de l'autre.
Un atelier d'écriture...
Vendredi validé !
Déposer le fardeau
Qui pèse sur le dos
La somme de nos travaux
L'amalgame de nos maux
Relever la tête
Regarder là-bas
La beauté intrinsèque
Écouter
La musique parfaite
L'histoire de l'autre.
Sous ses pieds les pavés de la petite rue le font tantôt légèrement trébucher, tantôt rebondir tendrement.
Il est là, dans la rue, au milieu des autres, mais son esprit danse ailleurs. Les mots l’entourent, espiègles, bavards, jamais fatigués.
Eux ne voient qu'un vieil homme barbu aux longs cheveux blancs et au regard bleu perçant.
Personne ne semble le voir. Personne ne le calcule et n'a l'idée de lui prêter attention. Mais lui, il se parle à lui-même et il leur parle aussi mentalement.
Ils ne maîtrisent pas complètement leur langage corporel. Leur mise vestimentaire, leur coiffure, leur démarche, leurs tatoos...
Mais lui il préfère les mots.
Il ne se paie pas de mots, non, il les paie d’attention. Il les goûte, les fait rouler sous sa langue mentalement.
Avoir le dernier mot ? Pourquoi pas le premier, ou celui d’après ?
Il sourit. Le monde autour de lui, les passants, les vitrines, tout cela n’est qu’un décor en mouvement, une toile qui se déploie sans jamais vraiment exister.
Les mots, eux, sont bien réels. Ils ont du poids, de la texture, parfois même un parfum. Il les connaît depuis toujours, et ils le connaissent mieux encore.
Un enfant passe en courant. Courir après les mots ? Ils sont trop rapides.
Une affiche criarde : Trop de mots pour ne rien dire.
Un passant l’effleure sans le voir. Lui aussi est un mot. Un mot oublié ?
Il continue. Il n’a pas froid, il n’a pas chaud. Il flotte un peu. Ses pieds avancent d'eux-mêmes. A-t-il trébuché ? Qu' importe. Tout devient plus doux, plus léger.
Les mots chuchotent autour de lui, comme une brise dans les feuillages. Ils l’enveloppent, l’accompagnent. Plus de poids, plus de course. Juste ce glissement naturel, cette caresse du silence.
Il ferme les yeux.
Et les mots, tendrement, l’emportent.
Nectar noir sans lequel rien ne peut commencer. Le café, premier rituel de la journée. Au même titre qu'une taffe de cigarette, qu'un scroll sur les réseaux sociaux. Il aide à sortir des rêves et petit à petit à se reconnecter au réel. Saluer les amis des réseaux sociaux. Tous dans la même galère, solidaires. Ça commence là. Dans quelques minutes je prendrai la route. Il fera encore nuit. Tic tac, tic tac, bientôt je ne m'appartiens plus. Bientôt je ne vis plus seulement pour moi. Je vais me frotter à d'autres personnalités, dispenser mon savoir-faire et mettre en application la vie en société.
Ils avaient mûrement réfléchi avant de mettre leur plan à exécution.
Leur problème ? La vieillesse.
D'abord, acheter une tente assez grande pour deux. Ils la voulaient voyante, facilement repérable. Pas de vert ni de camouflage. Lui en a trouvé une orange. Sa couleur préférée, en prime.
Ensuite, deux bons sacs de couchage capables de résister aux températures hivernales. Puis des matelas. Trouver l'idéal n'était pas simple, surtout avec leurs vieux dos douloureux.
Enfin, les sacs à dos. De quoi tout porter, avec le reste des accessoires. Ça commençait à peser lourd.
La destination ? Un coin de nature sauvage, quelque part en France. Plutôt dans la moitié sud. Peut-être bien le Nontronais.
Mars pointe son nez.
Bientôt, il sera temps de partir.
Lui veut passer l’été là-bas.
Les gens du coin s’habitueraient à ces deux campeurs insolites. Parfois, on les croiserait à la petite supérette du bourg.
L’été s’étire doucement, réchauffant leurs vieux os. Peu à peu, ils se font plus rares au village. Puis, ils disparaissent.
Pendant ces mois passés dans la nature, ils ont jeûné, perdu du poids. Avec leurs vêtements flottants, personne ne s’en est aperçu.
Un jour, ils ont cessé d’aller à la supérette. On les a un peu oubliés.
Puis vient la saison de la chasse.
Deux hommes du coin, fusils en bandoulière, repèrent une tache orange à quelques centaines de mètres.
— Ce serait pas la tente des deux petits vieux qu’on a vus cet été ?
— Tu crois qu’ils sont partis en laissant tout ça ?
— On va voir de plus près ?
Les chasseurs s’approchent, prudents.
— Ohé ? Il y a quelqu’un ? Vous savez que la chasse a repris ? Camper ici, c’est risqué maintenant !
Silence.
— On regarde à l’intérieur ?
— Ouais, vaut mieux. Soit ils ont laissé leur matériel, soit…
D’un geste lent, ils font glisser la fermeture éclair.
Là, dans le silence, deux corps immobiles, emmitouflés dans leurs sacs de couchage.
Ils ne dorment pas.
Au centre de la tente, une boîte en plastique transparente. À l’intérieur, un vieux téléphone à clapet et une lettre.
— Oh là, Adrien, touche à rien. Faut appeler les gendarmes.
Le cœur serré, les deux hommes comprennent. C’étaient eux, les petits vieux.
Adrien compose le numéro, la voix tremblante.
— On a trouvé… deux personnes décédées.
Les gendarmes arrivent vite. Ils prennent des photos, interrogent les chasseurs, examinent la boîte en plastique.
À l’intérieur, une lettre manuscrite.
L’officier la lit à voix basse. Tout s’éclaire.
Ils voulaient partir ainsi. Dans la nature, à l’abri des regards. Ils avaient cessé de s’alimenter, laissant leur corps s’éteindre doucement.
Ils ne voulaient pas finir dans un lit d’hôpital, dans une maison de retraite.
Comme ce vieux couple dans Titanic, allongé l’un contre l’autre, attendant la fin sans panique, dans un calme presque surnaturel.
Dans leur lettre, ils demandent pardon.
À ceux qui les ont découverts.
À leurs enfants.
Mais c’était mieux ainsi, écrivent-ils. Mieux que la déchéance.
Partir sans violence.
À leurs poignets, un bracelet en plastique blanc, comme ceux des hôpitaux.
Un prénom.
Un numéro de téléphone.
Inscrit à l’encre indélébile.