Le dernier départ
La vie vient d’achever de tout lui prendre. Les êtres aimés, les projets, les illusions, la jeunesse.
— Vous êtes à la retraite, le meilleur des métiers, lui avait dit le jeune commercial chez le concessionnaire auto.
— Tu parles, avait-il pensé. Quand tu en arrives là, il ne te reste déjà presque plus rien. À ce stade, plus rien à fêter, sauf l’oubli.
Pourtant, il a sa petite maison à l’orée d’un bois, à la campagne. Non, ce n’est pas un palais, mais c’était à eux. Un bout de monde planté là, contre les années. Aujourd’hui, il ne ressent plus rien pour ce décor, figé à jamais.
Il tient un sac à dos qu’il attache sur le porte-bagages de son fidèle vélo.
Il tourne la clé de la porte d'entrée deux fois, lentement. Comme un rituel. Puis, dans un souffle, il jette le trousseau le plus loin qu’il le peut. Il ne regarde même pas où il tombe.
Sa vieille auto, elle peut rester là.
Puis il se dirige vers le portail et, là, au bord de la route communale, il regarde à gauche et à droite.
— Décide-toi. C’est pour toujours.
Finalement, il prend à gauche, en direction de Ribérac.
Il ne s’est même pas rasé.
Il avait pris son vélo, pensant que la route serait longue. Une vieille randonneuse, fidèle et un peu rouillée, comme lui.
Mais en chemin, un claquement sec. La chaîne s’est brisée. Il a tenté de réparer, puis il a regardé autour de lui.
Rien. Personne. Juste un chemin et un ciel bas.
Alors il l’a laissé là. Adossé à un arbre, sans un mot.
C’était fini pour le vélo aussi.
Il a repris la route à pied.
Un pas. Puis un autre. Et cette étrange sensation d’être plus léger.
Il pense à Pessoa : « Le chemin n’existe pas… »
Les pas succèdent aux pas. Il trace sa voie.
Ribérac, Saint-Séverin, Barbezieux, Royan, Soulac-sur-Mer.
À présent, il est fatigué, épuisé. Lentement, il a marché de nombreux kilomètres. Sur la carte, cela dessinait un court tracé, mais en réalité…
Sa barbe et ses cheveux ont poussé. Il est plutôt ébouriffé. Les gens qu’il croise n’ont pas un regard bienveillant, ou affectent de ne pas le voir.
Mais il est arrivé jusqu’à la mer. C’est la fin du voyage. Toutes les fibres de son corps le lui disent. Son âme est attirée par l’océan.
Un soir, il s’assoit sur le sable de la plage. Son visage buriné est irradié par le coucher du soleil. Il sourit à la lumière.
Il le sait. À la faveur de la pénombre qui s’avance, il va se lever, laisser son sac, son fardeau, derrière lui, et marcher vers la mer. S’enfoncer encore et encore, jusqu’à être englouti. Comme un retour à la matrice qui lui a donné le jour.
( Noctiane, 27 juillet 2025 )
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Mara Cavanaugh