5 – Réunion, coming out et Noemie

Début juin 2024

Était venu le temps de la première réunion interne. Je n'avais pas vraiment de doute quant à sa bonne tenue ; la communication entre moi et les autres alters était plutôt fluide. Nous nous sommes accordés un moment, un dimanche après-midi, pour faire ça tranquillement. Concernant le déroulement de la session, sur comment nous fonctionnons, je reviendrai plus en détails dans un hors-série dédié.

La réunion a duré environ une heure. Nous étions alors 6 sans compter Léo qui est littéralement parti dormir après quelques minutes, une fois que le premier sujet fut réglé. Il ne voulait pas s'impliquer dans les choix qui suivraient, ni s'impliquer tout court dans la suite. Comme je disais dans le chapitre précédent, il est aujourd'hui toujours dormant et je n'ai jamais eu de nouveau contact avec lui.

Cette première assemblée a surtout été dédiée à faire un état des lieux de la situation, à permettre à chacun.e de se présenter aux autres, et de faire une liste de sujets plus ou moins importants à aborder les fois suivantes. Nous avons aussi décidé de faire notre coming-out multiple auprès d'une partie de nos proches.


Cette décision de nous dévoiler s'est prise assez rapidement et facilement pour plusieurs raisons : – en premier lieu, c'était la continuité : J'avais déjà parlé à certaines personnes de Solène et Pauline dans le but de leur laisser un espace d'existence, où nous n'aurions pas besoin de nous cacher. La logique était la même ici : pouvoir switch et vivre en liberté sans trop avoir à masquer dans un espace social safe. – ensuite, c'est aussi car nous avons la chance d'avoir des ami.es, un certain nombre en tout cas, que l'on identifie comme ouverts d'esprits et sûr.es. Nous avons pu hésiter un temps pour certain.es, mais pour la plupart d'entre elleux, le choix de leur en parler ou non s'est fait rapidement car nous leur faisons confiance.

Je pourrais dire qu'ayant fait mon coming-out trans quelque temps plus tôt, j'étais rodée. En réalité, ce fut assez différent même si j'ai un peu de mal à décrire cet écart dans le ressenti. Ce que je peux dire par contre, c'est que c'était couteux en énergie, dans une période déjà très chargée et où nos batteries ont été mises à l'épreuve.

Mon coming-out trans s'est globalement très bien passé et le seul moment très stressant fut quand j'ai donné ma lettre annonçant la nouvelle à mes parents. Aujourd'hui, bien que ces derniers acceptent ma transidentité et mon polyamour, iels ne sont pas au courant de notre multiplicité ; cela changera peut-être un jour, mais pour le moment, nous estimons qu'iels auraient du mal à comprendre, et à minima que ça les inquiéterait inutilement.

Je ferai probablement un hors-série pour préciser quelques détails sur nos Co multiple.


Cette partie évoque un état de questionnements identitaires, de confusion existentielle, et des émotions intenses

Quelques heures après la réunion, le soir avant d'aller dormir, un nouvel événement imprévu et marquant. J'aimerais pouvoir vous redonner exactement comment ça s'est passé, mais ça commence à remonter à loin et nous n'avons pas suffisamment documenté ce moment même s'il nous reste quelques notes et souvenirs. Nous allons faire comme nous pouvons.

Alors que nous repensions à la réunion et à certains détails, il nous est apparu que nous étions deux à penser être “Aurore”. Cette prise de conscience a été plutôt perturbante ; notre dualité était indiscutable mais elle posait un certain nombre de questions existentielles : “qui est qui ? Qui est Aurore ? Qui est “l'autre” ? Quelle est l'identité de l'une et de l'autre ? Quel caractère ? Quels goûts ? Quelles particularités ? Pourquoi ?” Des questions qui trouveraient leurs réponses plus ou moins rapidement mais que nous avons vécu sur le moment comme très vertigineuses.

Vous pourriez me demander en quoi c'était différent des autres alters. Si je devais faire des analogies, les autres, c'est comme si des voisin.es, des colocs, ancien.nes ou nouvelleaux se présentaient (chacun.e à leur manière) comme étant là, existant dans le système tout autant que moi. Dans ce cas présent, c'est comme si on découvrait être deux à gérer notre chambre et notre vie sans se croiser mais en pensant que chaque tâche était de notre fait. C'est comme de regarder dans un miroir et d'y voir deux reflets alors que jusque-là, on n'en voyait qu'un seul. Comme si on se déplaçait dos à dos et que pour la première fois, on se faisait face.


Bref, nous étions plutôt confuses, et pour essayer d'arranger un peu les choses, nous avons rapidement décidé de choisir qui de nous deux garderait le nom d'Aurore, et honnêtement, ça n'a pas été un choix facile dans notre état ; on a fait ça à l'instinct, arbitrairement. Est-ce que nous aurions pu faire le choix inverse ? Peut-être, mais avec le recul, j'en doute. C'est donc moi qui suis Aurore, et ma camarade s'est choisi un nom ; Noemie aurait pu être un choix temporaire mais au final elle l'a gardé et se nomme toujours ainsi aujourd'hui. Fatiguées et un peu sonnées, nous avons convenu d'aller dormir et d'en rediscuter le lendemain.

La discussion a continué au matin. Je me sentais un peu mieux mais Noemie était encore sous le choc et a failli fondre en larmes. Plusieurs de nos camarades m'ont rejointe pour la soutenir moralement et la rassurer. Une fois qu'elle fut calmée, nous avons pu continuer à échanger sur nos ressentis, afin d'essayer de déterminer nos deux identités, de comprendre quels aspects de notre vie commune “appartenaient” plutôt à moi ou plutôt à elle.

Cela s'est fait en plusieurs fois, sur les semaines suivantes mais déjà à l'issue de cette matinée, nous avions une vision un peu plus nette de notre dualité. Noemie restera perturbée encore quelques jours, en particulier car un certain nombre de choses “positives” de notre vie se rapportaient plutôt à moi qu'à elle ; et franchement, rétrospectivement, je me rends compte de sa force de caractère pour s'être remise en quelques jours seulement, en assumant qu'elle était chez nous la personne un peu stressée, plutôt axée sur l'organisation et checkant régulièrement l'heure et le programme des heures/jours à venir.

Et d'ailleurs, c'est elle qui prendra le lead de la réunion suivante qui aura lieu 4 jours plus tard (ainsi que la plupart des réunions par la suite) mais ce sera pour le prochain chapitre.


Nous reviendrons probablement dans un autre petit hors-série sur notre relation à Noémie et moi qui est assez unique dans notre système.