Aux bois du Tygre

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L’avenir est noir comme l’or Prenez soin du tygre qui dort.

Laissez donc rêver, lac étale Ce fauve au crépuscule endormi Son cœur alangui sous les étoiles Garderait en lui la fl·âme de nos envies.

Vaste lac où le jour expire L’onde ici reflète un ciel rance Il y fait dangereusement beau Le soleil déserté soupire Et irrigue nos pas de danses Nous chantons au bal de notre insouciance Et retrouvons les joies de notre enfance.

Le bonheur tombe sur le monde comme une fleur sur une tombe

À l’orée du grand soir, ce tygre d’or, assoupi Sous sa robe de paille raffermie Respire les vents secs, écoute les bruits Et perçoit vaguement le trouble qui s’ensuit.

Vois comme il vire, vois comme il baille Ressens son roulis, entends son soupir. Vois comme il vire, vois comme il baille Le fauve s’étire, c’est en nous qu’il grandit.

Sous les coups des raclures, à force de blessures, Graves entailles sombres zébrant sa dorure, Sa mâchoire se déchire, ses oreilles se dressent. Les pelleteuses aux crissements mécaniques Assaillissent son corps de leurs cinglantes presses. Ces tristes vierges de fer aux dents métalliques Creusent notre féline paresse, aiguisent nos peurs. Notre tygre âprement râle après sa torpeur.

Le voilà qui se presse, le voilà qui se lève Quel démon engourdi ose s’ébrouer ainsi Si ce n’est au regret d’émerger de ses rêves ? Le voilà qui se dresse, le voilà qui s’élève Quel démon engourdi ose s’ébrouer ainsi Si ce n’est au vouloir de rompre une trêve ?

Le vent gonfle ses oriflammes, l’œil est précis, Le poil, frémissant, gorgé de flavescence Se fige. Quel est ce silence du printemps ? N’entendons-nous pas suffoquer la Massane dans l’indifférence ? Ne voyons-nous pas sombrer l’Agly dans l’abîme du temps ?

L’impuissance tombe sur nos rondes comme la nuit s’égare sur le monde

Mais voilà que soudain, feu et flamme Brillant, brûlant avec force et furie C’est le grand incendie, L’or crame et sang flamme ! Lac en fuite, paysage meurtri, la vie se flétrit

Raho !

Chaos ! Fracas ! Chaos ! Éclat ! Le Réart ressuscite ! monstrueux Torrent d’un feu tempétueux ! Écoutez ce brasier rugissant Cracher la puissance des dieux ! Sentez, des foyers bouillonnants, Les rafles des griffes se fracasser, fatales ! Fuyez, pauvres fou·lles, la morsure des flots létale !

Chaos ! Fracas ! Chaos ! Éclat ! Réart, affreux effluent, trombe tumultueuse Qui claque et craque de manière désastreuse ! Lac, âtre fiévreux crépitant sous la trempe des opprimés ! Redoutez leur grogne sévère, grande vague enflammée Qui écume l’enfer et nous y enterre condamné·es.

Tygre ! Tygre ! Feu et flamme ! Brillant, brûlant au profond des soupirs de la nuit Quelle main, quel œil inconscients Ont pu façonner cet esprit défiant ? Regardez-le ! Qui pourrait dire si ses yeux colère S’imprègnent des flammes Ou si eux-mêmes, grenats incendiaires, Embrasent la campagne ?

Regardez-le ! Monstre resplendissant, Il puisera dans nos cœurs incandescents Les premières forces feutrées et fragiles Pour faire front. Pareil aux bombardiers vrombissant, Il domptera ces lames chaudement sanglantes Qui surgissent violemment, indociles, D’un bassin réduit à une ruine ardente.

Depuis l’étuve de ce lac perdu, sépulcral Nous nous ferons écho anxieux, courage fébrile ; Nous fondrons nos espoirs, nécessaires adieux, Pour en imprégner ce fauve foisonnant de feu Au son du feulement féroce de nos âmes férales

Raho !

Rugir noir ! Rugir fort ! Emplir les cieux écroulés Rugir noir ! Rugir fort ! Puiser dans son être mort Les grondements écoulés.

Combattant·es Nous chevaucherons nos tygres enflammés Ainsi que nous chevauchons la foudre, fou·les et damné·es. Chaque pas, chaque coup sur l’enclume de ce monde noyé Sonnera le glas, ouvrira la voie Nous chalouperons fiēr·es sacré·es tels les tygres de Pan Tang Dans les flammes dansantes d’une forge éclatante. Nous serons échos furieux d’un monde qui tangue Sous les griffes consumées de nos luttes pantelantes.

Un regard innocent ne verrait ici que beauté, Un regard avisé n’y verrait que danger. Les plus beaux arbres que les flammes inondent Forgent leur bois des ténèbres les plus profondes.

Les nuées tombent sur le monde Comme la suie s’endort sur notre tombe

L’ombre du feu sacré baigne l’horizon. Sur le corps noirci de nos révoltes Ne reste que l’écume des flammes, Cendres blanchies sur le pelage virevolte, Obscur tableau éclairé du destin de nos âmes.

À l’aurore, tout est mort Seul le tygre pleure encore, Son ronronnement fêlé Berce le monde à régénérer, Il broie noir les horreurs Des arbres décimés ; Ses griffes s’enfoncent tels des plantoirs, là où le vivant gît. Notre seule planète meurt Et nos luttes parsemées Portent en elles le tygre noir de la solastalgie.

Ô fauve farouche, de ses yeux affaiblis Perlent les larmes de la mélancolie, Chaude rosée dont le clapotis Crépite encore fumant Imprégnant le minéral D’une colère sourde et tombale. Comme le froid écumant de la pierre soulage ! Voici le deuil de nos anciens paysages, Nous voici au seuil de faire renaître ombrage.

Si les flammes portent en elles la lumière, L’obscurité seule en sublime les éclats révolutionnaires.

Nous plongerons dans l’outre-noir Pour en exhumer la lumière Reflets de l’invisible, reflets de l’espoir Qui esquisse une fin à nos combats d’hier. Nous apprivoiserons nos âmes Si sombres ! pour les faire ressurgir Sublimes ! au fil de l’eau et au fil de la lame De la grande vague d’or calcinée, agir !

Tygre ! Tygre ! Diamant noir des bois de la nuit, Nous verserons coquelicots et églantines Sur le cuir craquelé de son asphalte. Nous ferons de son corps meurtri Une source infinie de fertiles basaltes, Et dans l’horizon nuitescent qui se construit Serein·es, nous fleurirons le pelage du tygre

Le bonheur s’élève en ce monde Comme une fleur jaillit depuis la tombe

Caresser à mains nues ce tiède terreau Sauver les fleurs de jais du profond du néant Afin d’y insuffler des essences de jade Sentir battre le cœur du lac de la Raho Et remplir d’espérances ce gouffre béant Voilà du nouveau monde les premières barricades

Arborer nos esprits comme un feuillage épais Dresser notre part animale en canopée Pour l’endormir, épanchée sur cette litière Faire couler dans nos veines la sève printanière Et ramifier nos cœurs aux beautés floréales Seront du nouveau monde, la phase germinale.

Dès lors, voilà ce que nous devrons garantir À nos enfants nés à la poussière de la nuit :

Nourrir Un seul amour, un seul cœur, une seule santé Unir L’éphémère de l’homme et du monde l’éternité Grandir Comme des divinités en princes et princesses tygres Agir En toute action et réflexion avec bonté Vivre En n’oubliant jamais ce que savent les tygres Vieillir Offrant à leurs enfants la même volonté Mourir D’un seul amour, d’un seul cœur, d’une seule santé

Au sommeil du tygre, iels pourront cueillir Le chant des oiseaux de paradis. Chaque grain de cendre s’accomplira. Sous le souffle des arbres qui inspirent, Iels en cueilleront leurs baumes verdis Et de leurs mains naîtra Des forêts le sourire, aux bois du tygre.


Références littéraires

Jean Giraudoux – La guerre de Troie n'aura pas lieu

À ton aise. Ayons recours aux métaphores. Figure-toi un tigre. Tu la comprends, celle-là ? C’est la métaphore pour jeunes filles. Un tigre qui dort ?

Oh ! justement, Cassandre ! Comment peux-tu parler de guerre en un jour pareil ? Le bonheur tombe sur le monde !

Chen Jian Hong – Le prince tigre

C'est mon fils, garde-le avec toi, le temps de lui apprendre tout ce que doit savoir un tigre. Alors, il pourra devenir un prince.

William Blake – The Tyger

Tyger Tyger, burning bright,

In the forests of the night;

What immortal hand or eye,

Could frame thy fearful symmetry?

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Jean Iglesis – Lac

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Gérard de Nerval – El Desdichado

Ma seule étoile est morte, – et mon luth constellé Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Références musicales

La fanfare en pétard – noir comme l'or

Bob Marley – One Love

Hans Zimmer – Dune 2 – Beginnings Are Such Delicate Times

Hans Zimmer – Dune 2 – A Time of Quiet Between the Storms

Les Béruriers noirs – Noir les horreurs

Iron Maiden

Tygers of Pan Tang

Metallica – Ride the Lightning – For whom the Bell Tolls

Blackenend roar massive roar fills the crumbling skies Crack of dawn, all is gone

Références diverses

Tiger Woods

Pierre Soulages

La tigresse

Frédéric Lordon – “Ne soyez plus éco-anxieux, je vous invite à être éco-furieux”

One Health

Incendies du Roussillon été 2022 & de la côte Vermeille printemps 2023