André Markowicz

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Les victimes

D’abord, à l'évidence, – on pourrait dire exclusivement, mais non, pas du tout – le nombre de morts (nous en sommes à plus de 1300, si je comprends bien) et de blessés en Israel, – des pertes que le pays n’a pas connues depuis non pas la guerre du Kippour (où la grande majorité étaient des militaires) mais depuis celle de 1948. Parce que le traumatisme essentiel est que, pour la plupart, les victimes sont, justement, des civils, fortuits par définition, et qu’il ne sert à rien de distinguer les femmes, les enfants, – c’est juste comme ça : les types du Hamas tuaient tout ce qui se trouvait sur leur passage, et ils étaient venus pour tuer absolument tout le monde, en tout cas le plus grand nombre, ce qui explique qu’ils enfonçaient les portes des maisons et ils tuaient sans distinction : ils tuaient parce que les gens étaient là. De ce point de vue, non, il n’y a aucune distinction sur le fond entre ce qui s’est passé le 7 octobre et les attentats islamistes dans le reste du monde, que ce soit ceux du 13 novembre à Paris, ou ceux du 11 septembre aux USA. La même sauvagerie, la même rage. La même fascination de la Méduse : c’est l’essence même d'un terrorisme utilisé comme arme de guerre. Ensuite, – je dirais chronologiquement, puisque c’est maintenant que ça va se passer, il y a les victimes à Gaza. Il y a les gens, là encore femmes, enfants et vieillards (mêlés, par force, aux membres du Hamas) sur lesquels se déverse une apocalypse de bombes, – sachant que ces 2.300.000 personnes sont privées des biens les plus élémentaires, qu’il n’y aura bientôt plus de diesel pour faire marcher les générateurs qui fournissent de l’électricité là où elle fonctionne encore (y compris dans les hôpitaux), plus de nourriture en dehors des réserves que les gens auront pu accumuler, et plus d’eau – puis la bande de Gaza n’a aucun accès à l’eau. Je ne sais pas combien de temps ça pourra durer, mais, juste, cette perspective est là. Sachant qu’elle n’est pas encore la pire, puisqu’on ne voit pas comment il pourrait ne pas y avoir d’intervention terrestre de l’armée d’Israel, et que, sans intervention terrestre, toute cette monstruosité sera considérée comme une victoire du Hamas (c’est le sujet de ma dernière chronique). – Et, au moment d’achever ma chronique, je découvre cette folie : l’ordre donné par Israel de « relocaliser », sous 24h, 1.100.000 personnes habitant au nord de Gaza. Relocaliser où ? Comment ? en 24h ? Et ça y est, le piège est refermé : les parallèles de la « relocalisation » forcée, ils existent, – dans les déportations des peuples par Staline, ou, pire encore, dans les « relocalisations » des gens dans les ghettos. Et le mot, le mot lui-même, il ne vous rappelle rien ?? * Il y a aussi d’autres victimes. Des victimes d’un autre ordre. Ce sont les gens qui, en Israel, étaient en lutte contre le gouvernement d’extrême-droite (comment le qualifier autrement ?) de Netanyahou. Là encore, le piège est ouvert, et il paraît inévitable. – D’un seul coup, devant l’horreur de ce qui s’est produit, c’est toute la société israélienne qui s’est ressoudée, dans une unanimité presque totale. Parce que le mouvement de protestation démocratique contre les fascistes au pouvoir ne faisait que grandir, — ou, du moins continuait de s’affirmer dans sa force pacifique, – passant, peu à peu, de la contestation de la réforme de la Cour suprême (la soumission de la justice au politique) à ce qui est à la base de toute la tragédie du Moyen-Orient. Non pas l’existence d’Israel en tant que telle (cette étape est dépassée depuis les années 80), mais la poursuite de la colonisation, – d’une colonisation faite avec le soutien de l’armée, dans des conditions d’apartheid, et je maintiens ce mot puisqu’il s’agit de transformer ce qui était entendu comme un État palestinien (démilitarisé, mais théoriquement indépendant) en une espèce de bantoustan qui dépendrait du colonisateur pour ses besoins les plus primaires. (Or, si le Hamas a pu si facilement franchir la frontière, c’est aussi à cause de la politique de colonisation : des centaines de militaires censés garder la frontière de Gaza avaient été envoyés en Cisjordanie pour protéger une colonie qui venait de se créer sur un terrain palestinien. ) — Un grand mouvement de protestation s’était levé parmi les réservistes, qui, – et c’était une grande première dans l’histoire d’Israel, – refusaient tout service militaire à un État soumis aux fascistes au pouvoir. Et là, bien sûr, beaucoup de ces gens, au courage exemplaire, des gens qui ont passé leur temps à protester contre la colonisation, sont dans l’armée, et, si les choses se passent comme elles vont se passer, se rendront, eux aussi, coupables de crimes de guerre, – et peut-être pire, puisque l’évacuation d’un million de personnes en 24h pourrait bien être qualifiée autrement... * L’attaque du Hamas a donc joué le rôle que bien des dirigeants assignent à la guerre en général : créer un sentiment d’union nationale quand le pays est divisé par des fractures internes très profondes, – et la société israélienne est une société fracturée radicalement, justement par la colonisation et par la primauté de religieux qui suivent la pente naturelle de tous les groupes de pression au monde, c’est-à-dire qu’ils se radicalisent au fur et à mesure que les laïcs leur cèdent du terrain. Qu’on me comprenne : je ne dis pas du tout que Netanyahou avait intérêt à l’attaque du Hamas, et qu’il y aurait je ne sais quel plan machiavélique d’entente entre les deux, par-dessus les populations. Je ne le dis pas, parce que, même s’il y a, aujourd’hui, un gouvernement d’union nationale (mais je ne sais pas, au moment où j’écris, qui occupe quels postes), les questions sur la sécurité ne manqueront pas d’être posées, une fois les opérations militaires achevées : des questions sur la faillite des services de sécurité, ou plutôt la soi-disant faillite, parce qu’il apparaît aujourd’hui que, non, il y avait des voix des services de sécurité qui avaient prévenu qu’il se tramait quelque chose, et que ces voix n’ont pas été entendues, délibérément ou non. Mais quand les responsables de ce désastre devront-ils en répondre ? Je veux dire, quand les opérations militaires sont-elles censées se terminer ? Elles n’ont pas encore commencé... Et quand jugera-t-on les responsables du désastre général qu’est l’idéologie de la colonisation, – une idéologie qui prive plusieurs millions d’êtres humains de toute possibilité d’une vie un tant soit peu indépendante et digne ? – Sachant qu’une fois les opérations militaires achevées, d’une part, elles ne seront pas achevées, et, d’autre part, que c’est l’armée israélienne tout entière qui sera devenue criminelle, parce que cet ordre de « relocalisation » est, oui, un crime, quel que soit le crime auquel il répond. Et c’est un autre degré dans l’effroyable qui se déroule sous nos yeux. D'autant qu’il y a ça, en face, ou à côté : oui, le Hamas est une organisation terroriste, mais, dans l’état actuel de ce qu’on ne peut pas appeler « la société palestinienne » , parce que cette société n’est qu’un traumatisme général, global, ne connaissant que la misère, la restreinte et la guerre, ce qui me fait peur, c’est ce que disent beaucoup de commentateurs : la disparition du Hamas n’entraînera pas la paix, mais une radicalisation encore croissante. Et, encore une fois, que faire avec les millions de Palestiniens, – eux dont personne ne veut, ni Israel, ni les autres pays arabes ? Vous en faites quoi, de tous ces gens ? Sachant que la moitié de la population de Gaza a moins de 18 ans. Vous faites quoi avec les jeunes ? Vous leur montrez quel avenir ? Ces millions-là aussi, ils sont les victimes de l’horreur qui se déroule sous nos yeux. Les victimes présentes, et les victimes à venir. * Un dernier mot pour aujourd’hui. Il se trouve que la Russsie a profité de cette catastrophe pour lancer, à Avdéevka, la plus grande offensive de la guerre depuis celle de février-mars 2022. Des milliers et des milliers d’hommes, – c’est un déluge de feu qui s’abat sur ce qui fut, naguère encore, une ville prospère et que jamais les Russes n’ont pu prendre. On ne compte pas les morts, des deux côtés, mais, visiblement, du côté russe, à nouveau, ça se compte par milliers. Et oui, ça se passe, ça, sous le couvert de Gaza, pour qu’on n’en parle pas, – pour que l’Occident ne puisse plus continuer son effort de guerre pour soutenir l’Ukraine, s’il faut soutenir Israel, et pour que l’attention du monde, surtout, se détourne de l’Ukraine. Pour que les crimes russes s’estompent devant les autres. Ils ne doivent pas s’estomper. Et je n’oublie pas le Karabakh... – C’est juste, je ne sais pas, que c’est trop. Trop dur. Et ça sera pire encore. Tellement pire. Et je suis là, moi, et j’écris... qu’est-ce que je peux faire d’autre ?

#hamas #israel #ukraine #russie #Karabakh

Les pièges Le temps passe un peu, on découvre des détails sur l’attaque et on comprend, toujours aussi effaré, que le #Hamas a eu les mêmes attitudes que #Daesh, réellement. Qu’il ne s’agit pas seulement de la prise en otages de civils mais qu’il y a des cas de décapitations, et de décapitations d’enfants, et des cas – des dizaines de cas connus, visiblement, – de viols. Et que, oui, ce massacre dans la rave, c’était exactement comme le Bataclan. On apprend ça, et je vois, par exemple, sur les pages des « Indigènes de la républiques », des posts de solidarité avec ça, des vœux pour la victoire du peuple palestinien dans sa lutte de libération, – la lutte de libération était, d’après eux, illustrée par ça. Et bien sûr que le Hamas est une organisation terroriste. Ne pas le dire, ça, c'est quoi ? Que François Ruffin soit attaqué parce qu’il le dit montre tellement l’état de confusion auquel est arrivée une partie de la gauche que c’en est à tirer l’échelle pour la suite. * Une chose est sûre : une action comme celle du 7 octobre n’a pas pu être planifiée juste pour un jour. Les gens qui l’ont planifiée devaient comprendre qu’il y aurait des conséquences et donc, ces conséquences aussi, ils les ont prises en compte. On pense que c’est justement la crainte des conséquences, c’est-à-dire de la réaction de l’armée israélienne, qui explique les prises d’otages massives. Sans doute que oui. Avec plus d’une centaine d’otages répartis sur tout le territoire de Gaza comme bouclier humain, on peut imaginer qu’Israel hésitera à attaquer. Disons, on peut imaginer ça logiquement, et que, donc, ça fera comme une espèce de rapport de force, monstrueux, – un objet de négociations (auxquelles, d’après ce que j’ai appris hier soir, appelle d’ailleurs le Hamas). J’ai l’impression que le but des assassins est plus pervers que ça. Parce que nous avons affaire en #Israel au gouvernement le plus à l’extrême-droite de l’histoire du pays. Un gouvernement dominé par des racistes et des fondamentalistes. Et que le Hamas, qui n’est pas sans le savoir, se trouve avec lui comme en terrain connu. Il suffit juste pour le Hamas de lui faire suivre sa pente naturelle pour arriver à sa deuxième victoire, non plus militaire cette fois (il ne peut pas y avoir victoire militaire du Hamas), mais autrement plus importante, – symbolique. * Le fait est qu'il y a les réactions de l’État d’Israël, qui explique, par la bouche, par exemple, de son ministre de la Défense, – lequel répète ça plusieurs fois, dans des circonstances différentes – que ce ne sont pas des hommes, fussent-ils des monstres, qui ont fait ça, mais des « animaux ». Je ne connais pas le mot hébreu qu’il emploie et qu’on traduit ainsi : est-ce qu’il veut dire des « bêtes » (comme on dit des bêtes fauves) ou, réellement, des animaux ? La différence, pour moi, serait fondamentale. Parce qu’autant les « bêtes fauves » pourrait passer pour une expression, et, de fait, les assassins du Hamas se sont comportés comme des bêtes fauves (non, évidemment, les bêtes fauves ne font pas ça), autant les traiter d’animaux est d’un autre registre, qui n’est même pas du racisme. Qui est, oui, autre chose : si nous combattons des « animaux », alors, tout est permis, puisque, par définition, ils ne sont pas des êtres humains. La question est de savoir qui sont ces « animaux ». S’agit-il de tous qui ont participé aux attaques, ou de tous les membres du Hamas, ou bien de toute la population de la bande de Gaza (2.300.000 personnes) ? Il semble que la réponse soit claire pour ce gouvernement d’enragés : c’est bien toute la population de cette bande de terre qui vit sous blocus militaire depuis qu’elle existe en tant qu’entité soi-disant indépendante, dans une promiscuité inouïe et une misère endémique, sans aucune perspective de rien du tout que la haine. C’est ce qui explique non pas les bombardements, aveugles ou pas, qui ciblent, nous dit-on, des cellules du Hamas, et tuent des femmes et des enfants (les Gazaouis sont, hélas, habitués à cette horreur, et personne dans le monde n’en dit finalement trop rien), mais le blocus total, – qui illustre ce que c’est, réellement, que Gaza. Un pays indépendant qui dépend, totalement, d’un autre pays (en l’occurrence son ennemi) pour ses besoins vitaux : l’eau, l’électricité, la nourriture. C’est-à-dire que l’indépendance de Gaza est, par ce fait même, et dehors de toute opération de guerre, une fiction sanglante, une moquerie cynique de toute la communauté internationale : non, il n’y a, et il ne peut y avoir, aucune indépendance dans ces conditions. Et c’est la première chose que le blocus total décrété par Israël vient de montrer : cette décision, terrifiante, de faire payer, par la faim et la soif, et l’absence de toute électricité une population de 2.300.000 pour les crimes, oui, bestiaux, du groupe de fascistes qui les dirige, c’est une deuxième victoire du Hamas. Une victoire offerte par les frères d’armes du Hamas que sont les hommes qui dirigent Israel en ce moment. * Il risque d’y avoir une troisième victoire. Netanyahou répète à l’envi que l’État d’Israel fera comprendre aux terroristes que c’était une mauvaise idée de s’attaquer à lui, et qu’ils s’en souviendront pendant des « dizaines d’années ». Ça, ces dizaines d’années, ça veut dire quoi ? Tout laisse à croire que les officiels israéliens vont poursuivre les bombardements, la destruction toujours croissante des immeubles, et, pour parachever ces destructions, à un moment ou à un autre, qu’ils vont faire entrer l’armée à l’intérieur de la bande de Gaza, c’est-à-dire dans la ville. Et, donc, il y aura des combats de rues, ou plutôt pas de rues, justement, mais de décombres, en présence même de la population civile, de ces millions de gens, — parce qu’où voulez-vous qu’ils aillent, les gens, puisqu’ils n’ont nulle part où s’enfuir, malgré les demandes, cyniques encore une fois, des officiels israeliens ? Ils vont se réfugier où ? Sous le ciel bleu ? Il n’y a même pas la place, dans la bande de Gaza, de faire des villes de tentes pour deux millions de personnes. Il y aura donc, – c’est déjà fait – une première inversion symbolique, et ce n’est pas un hasard si l’ONU n’a pas été capable de publier même un communiqué de condamnation de ces attaques, mais que le secrétaire de l’ONU a condamné (bien justement) le blocus total qui vient de se mettre en place. La haine, dans le monde entier, non pas seulement de la politique d’Israël, mais d’Israël en tant que tel, est si puissante que les États du monde n’arrivent même pas à s’entendre pour dire que des « combattants » qui décapitent des enfants ne sont pas des « combattants », mais des assassins qu’il faut poursuivre et juger. Si, malgré le gouvernement d’union nationale qu’est en train de former Netanyahou, l’armée entre dans Gaza et que les combats commencent dans la ville, dans les immeubles, dans les ruines, alors, l’inversion symbolique sera totale : ce seront des combats comme ceux de Stalingrad (les Israéliens ne jouant pas le rôle de l’Armée rouge, on comprend bien) ou, pire encore, ce sera l’image des combattants du Ghetto de Varsovie qui nous sautera aux yeux. Les assassins du Hamas auront gagné totalement : ils auront transformé les descendants du Génocide en perpétrateurs d’un autre génocide, et souillé l’image des combattants du Ghetto (la page, sans doute, la plus héroïque de toute l’histoire multi-millénaire du peuple juif) en reprenant, symboliquement, leur rôle : une poignée d’hommes et de femmes qui se dressent, sachant qu’ils n’ont aucun espoir de survivre, contre les « bêtes » nazies. * Le piège est là. Et, bien sûr que le Hamas appelle le massacre de tous ses vœux, — le massacre des gens qui vivent là, enfermés, pris au piège, parce que, une fois encore, le Hamas est, d’abord, un mouvement fasciste. Le piège est en train de se refermer sur tout le monde : sur tous les Gazaouis, sur ces millions d’êtres humains, ces centaines de milliers d’enfants, – comme sur les malheureux otages israeliens, comme sur l’État d’Israël en tant que tel, qui aura perdu sa dernière légitimité de pays refuge des victimes, et du souvenir, du Génocide. C’est alors que le Hamas aura gagné, même en étant détruit. Parce que le Hamas n’est pas seulement un mouvement fasciste, mais terroriste et, dans son essence, nihiliste, puisqu’il est islamiste. Le fascination des fondamentalistes de Daesh, le but suprême (proclamé, du moins) de Daesh, ce n’était pas la vie, c’était la mort en martyr. C’était la destruction de tout ce qui pouvait être vivant dans la vie terrestre – y compris soi-même. J’ai peur que Netanyahou et ses monstres ne soutiennent le Hamas pour y arriver. * Un dernier mot, — sur le sujet d’une chronique ultérieure, et très très importante : il y a des gens en Israel qui, ça, le comprennent, et qui se battent contre ça, tout en se battant, aujourd’hui, contre le Hamas. Il y a beaucoup de gens qui comprennent ce qui est en train de se jouer là. Et qui le disent. – Je suis avec eux.