“Ultra-riches”, pourquoi tant de haine?

À voir la focalisation des débats sur le budget 2026 autour des “ultra-riches”, on pourrait croire que les responsables du marasme politique et financier de la France sont enfin identifiés. Par delà les jugements moraux tapis derrière le terme “ultra” qui signifie en dehors de toute norme admise, Essayons d'y voir un peu plus clair.

Une question tout d'abord: on connaît le concept de riche par opposition à celui de pauvre, même si cet antagonisme peut revêtir des contours variés suivant les contextes et surtout les pays. Pour lever ces ambiguïtés, les riches, sont généralement présentés par rapport au montant estimé de leur fortune (millionnaires et le plus souvent milliardaires) en dollars des Etats-Unis.

Quelle est leur importance dans le paysage mondial?

D'après le magazine Forbes qui réactualise tous les ans le montant des fortunes mondiales, il y a 3 028 milliardaires dans le monde (sur une population mondiale qui devrait avoir dépassé les 8 milliards d'habitants en 2025 d'après les Nations-Unies). Leur surface financière totale serait de 16 100 milliards de dollars, ce qui représente 15% du produit intérieur brut (PIB) mondial.

C'est énorme. Mais il convient de se garder de tomber dans le piège d'une confusion entre capital et revenus qui “pimente” aujourd'hui les débats en France. Quand on évoque la richesse des milliardaires, on se réfère au cumul des actifs constitués au fil des années depuis la création de celle-ci. Quand on mentionne le PIB, on parle à l'inverse de la richesse créée sur une année. Pour comparer ce qui est comparable, la richesse des milliardaires aurait, d'après Forbes, augmenté de 2000 milliards de dollars sur un an soit moins que le PIB mesuré en 2024 pour la Guinée Bissau ou le Burundi. (Source : données de la Banque Mondiale).

Retour en France: les riches payent-ils des impôts?

Contrairement à l'idée reçue, non seulement les milliardaires et multi-millionnaires payent des impôts, mais leur contribution est proportionnellement plus élevée que celle du reste des Français: le dixième le plus aisé de la population française contribue aux trois quarts de l'impôt sur le revenu. A l'inverse les 22 millions de foyers fiscaux les plus modestes en sont exonérés: l'impôt sur le revenu est acquitté par 19 millions de foyers fiscaux, soit 46% des 41 millions de foyers fiscaux en France. (Source: France info juin 2025).

Alors d'où vient le problème?

Pour les personnes les plus fortunées, la nature des revenus ne provient généralement pas du versement de salaires (ou assimilés), mais des bénéfices des sociétés qu'elles contrôlent. Ces bénéfices sont imposables au titre de l’impôt sur les sociétés et les personnes qui contrôlent celles-ci tirent leurs revenus de la partie distribuée au prorata des actions qu'elles possèdent.

Or, notre système fiscal n’est pas adapté à la réalité des capacités contributives des foyers les plus fortunés dont les revenus peuvent aussi provenir de bénéfices logés dans des holdings établies à l'étranger.

Quelles sont les composantes de la polémique actuelle?

La polémique est née à partir d'un article par l'Institut des Politiques publiques (IPP) au sein duquel l'économiste Gabriel Zucman est chercheur affilié.

Cette étude publiée en Juin 2023 sur la base de données de 2016 mentionne notamment que ” Au sein des 0,1 % des foyers fiscaux les plus riches, le taux d’imposition global devient régressif, passant de 46 % pour les 0,1 % les plus riches, à 26 % pour les 0,0002 % les plus riches (les « milliardaires »)” (..) “En conséquence, poursuit le document, les taux d’imposition effectifs à l’impôt sur le revenu diminuent en pourcentage du revenu économique global pour atteindre environ 2% parmi le top 0,001%.” Dès lors l'étude conclue que 97% du revenu économique des 75 ménages de milliardaires français échappe au “revenu fiscal de référence” .

Pour évaluer la contribution d'un ménage au budget de l'Etat, l'étude de l'IPP retient donc comme indicateur le “revenu fiscal de référence” associé à l'avis d'impôt sur le revenu, mais n'intègre pas, les autres contributions des foyers fiscaux les plus aisés, notamment par le biais de l'impôt sur les sociétés des entreprises qu'ils contrôlent.

Taxer les riches sur ce qu'ils possèdent et non ce qu'ils gagnent, quelle différence au fond?

Comme il est difficile d'appréhender l'assiette des revenus taxables des ménages les plus aisés, l'idée s'est progressivement installée de taxer ceux-ci également sur leur richesse -leur patrimoine y compris professionnel. Mais, alors que les revenus sont matérialisés par une entrée d'argent, la richesse est déterminée sur la base de l'estimation d'un patrimoine (des actifs immobiliers et financiers principalement) qui n'a pas été vérifiée par une vente. Or ces actifs sont fluctuants, comme Elon Musk, certes l'homme le plus riche du monde, en a fait l'amère expérience en “perdant” en une journée près de 34 milliards de dollars. Dans les faits, Elon Musk n'a pas vraiment perdu cet argent, dans la mesure où il n'a pas vendu ses actions ce jour là, mais la valorisation de sa richesse a brutalement été réévaluée avec 34 milliards de dollars en moins.

Autre difficulté: les actifs des milliardaires ne sont pas immédiatement disponibles, puisqu'ils sont investis dans des locaux qui sont occupés et des entreprises qui emploient et participent à la création de richesse des pays où elles exercent leurs activités. Pour que les contribuables les plus fortunés s'acquittent d'une éventuelle contribution sur leur richesse, il faudrait qu'ils en vendent une partie pour pouvoir disposer des ressources additionnelles nécessaires au paiement de leur contribution. Pas évident dans le cas de biens immobiliers, difficilement fractionnables, mais pas simple non plus pour les actifs financiers: vendre une partie des actions détenues par les plus riches signifierait amputer le capital des entreprises qu'ils contrôlent, les condamner à réduire leur fonds de roulement, et fragiliser leur viabilité économique. Est-ce vraiment nécessaire?

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