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mémoire

❤️ La forêt incendiée

Forêt incendiée

[ Ce poème avait été écrit par mon père, dans le sud-est de la France, après un terrible incendie non loin de chez nous. ]

Il pleuvait. Les nuages étaient très bas.

L'horizon bouché ne parvenait pas à cacher Les squelettes dont la vie avait été arrachée Par la tornade rouge qui avait mené le combat.

On pouvait s'élever à l'infini vers la crête là-bas, Sans être le moins du monde gêné pour marcher, Par la végétation qui n'avait pas eu à sécher, Disparue en fumée au cours de ce branle-bas.

Les troncs calcinés, trempés par la pluie battante, Se hissaient, implorants, comme dans l'attente D'un secours qui ne viendra pas, plus jamais.

La forêt incendiée est devenue un grand cimetière Où les croix d'aujourd'hui sont les arbres d'hier Et dont les tombes ne seront plus fleuries désormais.

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◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical

Lisa Gerrard & Pieter Bourke – Sacrifice

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#hommage #poème #mémoire #Noktiane

Source photo : Bing Images


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❤️ Anne, Gennaro, Vincent, Zézée et René

Piano

Anne et Gennaro avaient quitté l’Italie dans une période troublée par le fascisme pour trouver refuge en France.

Tailleurs de métier, ils avaient ouvert leur petit atelier de confection de costumes pour hommes, avenue Clovis Hugues. Ils travaillaient aussi comme sous-traitants et recevaient des commandes pour la Marine nationale.

Vincent, mon père, m’emmenait avec lui lorsqu’il leur rendait visite en semaine.

Nous passions par l’entrée de la boutique : une salle avec une table pour présenter les modèles dans de gros catalogues, les tissus, et une large cabine d’essayage en bois travaillé.

Puis venait l’atelier…

Anne, assise à sa machine à coudre à pédale, travaillait sous la lumière d’une lampe, même en plein jour. Face à elle, Gennaro était penché sur sa propre machine.

Au fond de la pièce, une très grande table en bois portait deux énormes fers à repasser métalliques et lourds, posés sur leur semelle, avec un manche en bois. Cette table servait à la fois pour la découpe des patrons et pour le repassage.

Pendant que papa discutait, je m’asseyais par terre et je jouais avec une petite voiture ou avec des coupons de tissu. Parfois, je m’enfermais dans la cabine d’essayage et je m’amusais des jeux de miroirs.

Papi et mamie travaillaient encore malgré leur âge avancé. Quand ils avaient débuté, les cotisations retraite n’étaient pas obligatoires ; ils durent donc prolonger leur activité.

Parfois, l’odeur âcre de la colle néoprène emplissait l’air, lorsqu’ils confectionnaient des vestes en cuir, plus difficiles à travailler.

Papi avait toutes les phalanges déformées et déviées par l’arthrose et les années de couture. Difficile de tenir une aiguille dans ces conditions. Ce devait être douloureux. Pourtant, jamais ils ne se plaignaient.

Tous les dimanches, nous leur rendions visite en famille.

Dans la salle à manger, une grande table ancienne avait un secret : on pouvait soulever le plateau et découvrir dessous… un billard ! Magique.

Papi parlait peu. Assis dans son vieux fauteuil en cuir, il tenait à la main une planchette munie d’une pince à dessin pour maintenir ses mots croisés découpés dans les journaux. À côté, sur la petite table, reposait un dictionnaire usé.

Mamie, elle, était d’une grande douceur. Papa l’adorait. C’est elle qui lui avait appris à lire et à écrire avant l’heure.

Ils aimaient la musique classique. Dans le séjour trônait un piano droit.

Zézée (diminutif de Rosaire, la famille était catholique) et René, frère et sœur de Vincent, étaient musiciens. Zézée au piano. René à la flûte traversière ou au violon.

Aujourd’hui ils ne sont plus. Je pense souvent à eux. Mon enfance et mon adolescence sont passées, le temps a filé, et je me suis éloigné. Je le regrette. J’aurais pu chercher à mieux les connaître et leur témoigner plus d’intérêt et d’affection.

Ils ne parlaient pas italien, ni de leurs racines. Je ne leur ai jamais posé de questions. Et c’est dommage…

Ce fut une intégration réussie, mais à quel prix ? Ils dirent adieu à toute une partie de leur vie. Jamais ils ne s’en plaignirent, mais ils durent sûrement en souffrir.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical :

  1. Franz Schubert – Impromptu en sol bémol majeur, op. 90 n°3
  2. Gabriel Fauré – Sicilienne, op. 78

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#écrit #souvenirs #mémoire #famille #Italie #intégration #Noktiane


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Personne ne le voit

Il marche, lentement, comme on glisse dans un rêve. Il est grand et parvient encore à se tenir droit, malgré les hésitations de ses jambes. Sa barbe blanche descend sur son blouson beige, et son épaisse chevelure, argentée, vestige de jeunesse, s'ébouriffe au gré des courants d'air.

Son regard, bleu pâle, cherche quelque chose sans savoir quoi. Une rue. Un prénom. Une porte oubliée.

Il murmure parfois. À lui-même ? À un souvenir ?
« Tu viens, Susie ? Il ne faut pas traîner, ils ferment le portail… »

Il s’arrête devant un feu rouge. Pas de voiture à l’horizon. Il attend. Le feu passe au vert, puis au rouge. Il est toujours là.
Il repart.

Des passants glissent autour de lui, absorbés. Un homme d’affaires frôle son épaule sans le voir. Une femme avec des sacs de courses l’évite sans lever les yeux.

Un rire lui échappe, venu de nulle part. Il a cru reconnaître le pigeon qui picore près de la grille. « Marcel ? » dit-il doucement. Puis son sourire s'efface.

Il voit son reflet dans une vitrine : grand, un peu courbé. Il plisse les yeux.
« Tiens, ce vieux, je le connais… »
Et puis l’image se floute, s’efface.

Une enseigne clignote un peu plus loin :
“Éternel Printemps – Beauté garantie.” Il la regarde un moment.
« Ils promettent tous… mais à la fin... »
Un bref soupir, presque complice.

Mais parfois, la brume se déchire.

Une angoisse brutale. Une chose sans nom l’effraie. Où est-il ? Où sont les clés ? Et Susie ? Était-elle juste derrière, ou bien déjà partie ?
Son cœur accélère. Il pose la main sur un mur pour ne pas tomber.
Puis… une rafale de vent, et l’instant passe.

Il repart.

Une jeune fille le croise, absorbée par son téléphone. Elle ne lève pas les yeux.
Il la regarde, ému. « Mignonne… »
Ma petite-fille aurait pu avoir son âge…
Puis le souvenir vacille — blanc, silencieux.

Un arbre feuillu, immobile malgré le vent, attire son attention, là-bas. Il s’approche.
« Les platanes… ça, je connais. »
Mais ce n’est pas un arbre. C’est un lampadaire décoré pour l’été.

Il continue encore un peu, comme on prolonge un rêve sans y croire.

Ses jambes faiblissent. Le monde se ralentit autour de lui, ou bien en lui.
Un dernier souffle d’air chaud traverse la rue piétonne.

Il s’arrête, le regard levé vers un coin de ciel trop bleu pour être réel.
Puis il s’affaisse, doucement, comme une grande voile qu’on replie.

Il n’y a pas de cri. Personne ne le voit. Juste le bruit du vent, les cliquetis des enseignes.

Mais lui, il voit.
Cette intense lumière.
Des présences fines autour de lui.
Des âmes douces, peut-être, ou des fées.
Elles ne disent rien, mais il entend tout.

Elles murmurent des mots que seuls les très vieux ou les très jeunes peuvent comprendre.
Elles l’appellent par son vrai nom, celui qu’on ne dit qu’au seuil.

Et alors, il s’éteint, doucement, comme une chandelle qu’on protège du vent.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical

  1. Henrik Lindstrand – Dungen
  2. Brambles – In the Androgynous Dark

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#écrit #nouvelle #fiction #alzheimer #vieillesse #mémoire #Noktiane


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