noktiane

Des mots qui passent, des histoires qui restent.

Elektra

Je suis Elektra l'électrique.

J'ai un aspect classieux. Hey ! Regarde-moi, comme j'ai un châssis haut. Je te fais un clin d'œil. Je suis rutilante. Une vraie bombe.

À l'intérieur, mes passagers nagent dans le bonheur. Ils sont gais, souriants. Mes larges écrans LED les fascinent. Le silence, la musique.

Mes sièges t’avalent, moelleux comme un nuage de cuir vegan. Tes doigts glissent sur mes surfaces lisses, tièdes, presque vivantes. Je ne sens pas mauvais comme les concurrentes qui sentent l'essence ou le gazole.

Laisse-toi séduire. Laisse-moi t'envoûter. Laisse-toi enchaîner.

Tu n'aurais pas un petit côté sadomaso, toi ? Tu sais que ça va faire mal. Mal à ton portefeuille. Mal à tes économies. Tu ne pourras pas me résister. J'use de tous mes sortilèges.

Grâce à moi, tu vas devenir une star, une VIP. Tu pourras accéder à des villes, à des centres-villes réservés aux gens comme toi, hors du commun.

Derrière mes écrans, c’est toi que je regarde. Laisse-toi aller. Laisse-moi te prendre. Viens dans mon intimité. Mon univers fantasmocosmique.

Viens, viens à moi. Abandonne tes doutes, je saurai les dissoudre. Laisse mes câbles s’entrelacer à tes nerfs, ma batterie battre au rythme de ton cœur. Ne lutte plus. Tu n’as déjà plus de clef : je suis la serrure, et toi l’envie qui s’y glisse.

Viens… et je serai ton dernier moteur de désir.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical

  1. Carpenter Brut – Turbo Killer
  2. Perturbator – Future Club

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#fiction #Elektra #textecourt #satire #fantastique


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La Lune en RTT

La lune décontractée

On dit souvent : c… comme la Lune. Ce soir, la Lune en a marre. Elle décide de montrer qu’elle n’est pas si bête.

Elle dépose au Ministère des Astres un arrêt de travail tamponné d’un grand croissant. « RTT ! J’ai besoin de souffler. » Et hop, elle s’éclipse.

Le Roi Soleil, flatté, bombe le torse : « Enfin ! Le règne absolu. Jour et nuit, les humains devront m’adorer ! »

Trois jours plus tard, ça chauffe. Trop. Les nuits blanches s’allongent, les coqs sont en burn-out, les tournesols brandissent des pancartes : « Trop de lumière, ce n’est plus une vie ! » proteste la Terre.

Pendant ce temps, la Lune s’éclate. Saltimbanque du ciel, elle jongle avec les mots, les rayons et les choses, puis avec les pauses, les silences et les proses. Elle n’est pas si idiote : elle est libre.

Quand elle revient, fraîche et décontractée, la planète entière, surchauffée, applaudit. Le Roi Soleil, vexé, grommelle dans son coin : « On ne respecte plus rien, même pas la Monarchie Solaire… »


📻 Ce qu’il faut retenir : On croit que seule brille la lumière éclatante. Mais parfois, c’est la discrète clarté qui sauve la nuit.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical :

  1. Maxime Le Forestier – Saltimbanque
  2. Angelo Branduardi – La luna

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#lune #soleil #conte #humour #poésie #Noktiane


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❤️ La forêt incendiée

Forêt incendiée

[ Ce poème avait été écrit par mon père, dans le sud-est de la France, après un terrible incendie non loin de chez nous. ]

Il pleuvait. Les nuages étaient très bas.

L'horizon bouché ne parvenait pas à cacher Les squelettes dont la vie avait été arrachée Par la tornade rouge qui avait mené le combat.

On pouvait s'élever à l'infini vers la crête là-bas, Sans être le moins du monde gêné pour marcher, Par la végétation qui n'avait pas eu à sécher, Disparue en fumée au cours de ce branle-bas.

Les troncs calcinés, trempés par la pluie battante, Se hissaient, implorants, comme dans l'attente D'un secours qui ne viendra pas, plus jamais.

La forêt incendiée est devenue un grand cimetière Où les croix d'aujourd'hui sont les arbres d'hier Et dont les tombes ne seront plus fleuries désormais.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical

Lisa Gerrard & Pieter Bourke – Sacrifice

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#hommage #poème #mémoire #Noktiane

Source photo : Bing Images


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Café Rituel

[ Comme un rite. Brut, banal, nécessaire. ]

Café.

Premier rituel de la journée sinon ça va pas aller.

Taffe de cigarette.

Scroll sur les réseaux sociaux.

Sortir des rêves. Reconnection.

Salut les amis des réseaux sociaux!

Tous dans la même galère, solidaires.

Ici tout recommence.

Dans quelques minutes je prends la route.

Bip bip bip…

Ça y est je ne m’appartiens déjà plus.

Je ne vis plus seulement pour ma gueule.

Bientôt je me coltine les autres.

La vie en société.

Allez go !

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical :
1. Noir Désir – Un jour en France
2. Archive – Bullets
3. Ez3kiel – Versus

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#poème #rituel #matin #fiction #Noktiane


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Réseaux

[ Un poème sur la traversée virtuelle. ]

Je suis.
Je suis à travers vous.
Je suis au milieu de vous.
Je suis.

Images.
Sons.
Interférences.
Plaintes.

Parcours qui s’entrecroisent.
Présences fantasmagoriques.
Mots sans visages.
Expressions figées.

Réel ?
Irréel ?
Pensées profondes.
Pensées légères.
Cris au bout des doigts.

Consolations d’ici.
Échos d’ailleurs.
Crève-cœurs.
La vie s’échappe.
Elle fuit le monde réel.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical :
1. Massive Attack – Teardrop

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#poème #réseaux #fiction #Noktiane


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Infirmerie

[Souvenir d’un matin ordinaire dans un service de soins. Je l’ai vécu, et je l’ai aimé.]

C’est l’été, il est six heures trente. J’ai parcouru quinze kilomètres à vélo dans la fraîcheur calme du matin, sur les routes de campagne.

Une famille de sangliers a traversé la route, une centaine de mètres devant moi. Prudent, j’ai ralenti et profité du spectacle : le mâle, la femelle et trois petits, encadrés entre les deux. Au loin, un coq chante. Tout est calme, paisible. L’odeur d’humus de la forêt m’accompagne jusqu’à l’entrée du centre.

La silhouette familière du centre de rééducation se dessine. Un sentiment d’appartenance m’envahit.

Après avoir accroché mon vélo, je me dirige vers l’entrée du personnel. Je ne suis pas le premier arrivé : Cédric, Stéphanie et Annie sont déjà là.

— Hey Nok ! Tu es venu à vélo ce matin ? — Eh oui, lol. Je n’ai pas l’esprit embrumé en arrivant. C’est ça qui est bien. Héhé.

On me charrie un peu. Je suis presque le seul à faire du vélotaf, quel que soit le temps. Heureusement, j’ai la possibilité de me doucher au vestiaire. C’est pratique.

Ils sont assis sur des chaises en plastique d’été, mises à disposition par la direction. Avec les tables, ceux qui veulent peuvent aussi y manger le midi.

Cigarette ou vapoteur, smartphone qui défile. Peu de mots, mais on est ensemble. L’équipe se forme.

Bientôt, direction les vestiaires. Enfilage de la tenue blanche, puis passage à la permanence de soins. L’équipe de nuit touche à sa fin, bientôt elle pourra regagner ses pénates. Les chariots de soins sont prêts. La cafetière achève ses derniers glouglous.

On s’installe autour de la grande table ovale de la permanence. Transmissions entre IDE, AS, ASH, coordinatrice : ce qui s’est passé dans la nuit, patient par patient.

L’IDE de nuit nous fait rire : Monsieur M a tenté de se coucher dans un lit… qui n’était pas le sien. Et bien sûr, le lit était occupé !

Le jour aussi, Monsieur M déambule souvent nu. Alors une astuce a été trouvée : un plateau inox posé en équilibre en bas la porte fermée. Il ouvre → le plateau tombe → BLING → alerte. Précieux système D du dimanche, quand l’équipe est réduite.

Sinon, on le prend avec nous à la permanence. On lui tend une boisson, on lui parle, on lui donne de quoi dessiner, écrire, feuilleter. On l’intègre, tout simplement.

Ensuite, il faut y aller. Chacun sa partition. Trois chariots, trois ailes. Une IDE par aile. Les AS vont par deux, plus nombreux. Les ASH, deux par aile aussi. Quarante-cinq lits au total : c’est le Service de Rééducation Fonctionnelle.

L’autre service, on l’appelle le Service Cardio. Il est destiné à la réadaptation à l’effort, majoritairement.

Mais aujourd’hui, je suis dans le Fonctionnel. Je travaille en tant qu’IDE, avec Élodie et Sylvie.

Je suis à l’aise avec elles. Ce sont des bulles de joie qui pétillent. Souvent, on se comprend d’un regard. On a des fous rires à en avoir mal aux abdos.

Même si nous avons chacun une aile attitrée, nous restons mobiles, et surtout, on s’entraide. Nous avons toutes et tous un DECT.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical :

  1. Ludovico Einaudi – Una Mattina
  2. Max Richter – On the Nature of Daylight

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#souvenir #serviceDeSoins #rééducation #matin #équipe #infirmier


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❤️ Anne, Gennaro, Vincent, Zézée et René

Piano

Anne et Gennaro avaient quitté l’Italie dans une période troublée par le fascisme pour trouver refuge en France.

Tailleurs de métier, ils avaient ouvert leur petit atelier de confection de costumes pour hommes, avenue Clovis Hugues. Ils travaillaient aussi comme sous-traitants et recevaient des commandes pour la Marine nationale.

Vincent, mon père, m’emmenait avec lui lorsqu’il leur rendait visite en semaine.

Nous passions par l’entrée de la boutique : une salle avec une table pour présenter les modèles dans de gros catalogues, les tissus, et une large cabine d’essayage en bois travaillé.

Puis venait l’atelier…

Anne, assise à sa machine à coudre à pédale, travaillait sous la lumière d’une lampe, même en plein jour. Face à elle, Gennaro était penché sur sa propre machine.

Au fond de la pièce, une très grande table en bois portait deux énormes fers à repasser métalliques et lourds, posés sur leur semelle, avec un manche en bois. Cette table servait à la fois pour la découpe des patrons et pour le repassage.

Pendant que papa discutait, je m’asseyais par terre et je jouais avec une petite voiture ou avec des coupons de tissu. Parfois, je m’enfermais dans la cabine d’essayage et je m’amusais des jeux de miroirs.

Papi et mamie travaillaient encore malgré leur âge avancé. Quand ils avaient débuté, les cotisations retraite n’étaient pas obligatoires ; ils durent donc prolonger leur activité.

Parfois, l’odeur âcre de la colle néoprène emplissait l’air, lorsqu’ils confectionnaient des vestes en cuir, plus difficiles à travailler.

Papi avait toutes les phalanges déformées et déviées par l’arthrose et les années de couture. Difficile de tenir une aiguille dans ces conditions. Ce devait être douloureux. Pourtant, jamais ils ne se plaignaient.

Tous les dimanches, nous leur rendions visite en famille.

Dans la salle à manger, une grande table ancienne avait un secret : on pouvait soulever le plateau et découvrir dessous… un billard ! Magique.

Papi parlait peu. Assis dans son vieux fauteuil en cuir, il tenait à la main une planchette munie d’une pince à dessin pour maintenir ses mots croisés découpés dans les journaux. À côté, sur la petite table, reposait un dictionnaire usé.

Mamie, elle, était d’une grande douceur. Papa l’adorait. C’est elle qui lui avait appris à lire et à écrire avant l’heure.

Ils aimaient la musique classique. Dans le séjour trônait un piano droit.

Zézée (diminutif de Rosaire, la famille était catholique) et René, frère et sœur de Vincent, étaient musiciens. Zézée au piano. René à la flûte traversière ou au violon.

Aujourd’hui ils ne sont plus. Je pense souvent à eux. Mon enfance et mon adolescence sont passées, le temps a filé, et je me suis éloigné. Je le regrette. J’aurais pu chercher à mieux les connaître et leur témoigner plus d’intérêt et d’affection.

Ils ne parlaient pas italien, ni de leurs racines. Je ne leur ai jamais posé de questions. Et c’est dommage…

Ce fut une intégration réussie, mais à quel prix ? Ils dirent adieu à toute une partie de leur vie. Jamais ils ne s’en plaignirent, mais ils durent sûrement en souffrir.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical :

  1. Franz Schubert – Impromptu en sol bémol majeur, op. 90 n°3
  2. Gabriel Fauré – Sicilienne, op. 78

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#écrit #souvenirs #mémoire #famille #Italie #intégration #Noktiane


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Solo tu

Dans la nuit profonde, je me suis réveillé. Je ne la vois pas, mais je sais qu’elle est là, tout près. Je l’entends respirer paisiblement.

Parfois ses rêves s’assombrissent. Le matin, elle m’en parle. D’autres fois, c’est trop douloureux, et elle garde le silence.

Notre toit est petit, modeste, à notre image. Comme cette publicité pour un café soluble : une seule cuillère suffit, pas la peine d’en rajouter. C’est ça, notre vie.

Il est quatre heures. Parfois plus tôt encore, dans le noir et le silence, j’écris quelques mots sur le clavier de mon ordiphone.

Je pense à nous. Aux joies, aux peines, aux routes traversées. Je pense aussi à celle qui s’achève. Nous savons tous les deux qu’elle se rapproche. Si seulement, ce jour-là, nous pouvions partir ensemble…

Nos vacances n’ont jamais été lointaines. Un peu l’Italie, l’Allemagne, pour retrouver nos racines ou des souvenirs de jeunesse. Rarement un hôtel. Le plus souvent, le petit fourgon de La Redoute, que j’avais aménagé pour nous trois — notre fils, notre chienne et nous. Mais surtout la France, ses paysages, ses villages, loin du quotidien laborieux.

Pas de vêtements de marque, mais ses mains savaient coudre, tricoter, embellir. Aujourd’hui encore, elle est belle, avec son élégance simple. Ses cheveux gris lui vont si bien.

Le matin approche. Une petite toux me dit qu’elle est réveillée. Bientôt, elle pensera tout haut : — Qu’est-ce que je vais faire à manger ?

L’après-midi, elle s’affaire au jardin, dessine, crée. Elle est douée pour tout. Moi aussi, j’ai mon rôle. Mais sans elle, je ne suis rien.

Tiens, ça bouge dans la chambre. C’est ma bien-aimée qui se lève. Nous allons écrire une nouvelle page, à deux cœurs et quatre mains.

Quelques lignes, quelques pages, qu’importe. Tant qu’il y aura ses mains près des miennes.


⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical :

  1. Matia Bazar – Solo tu 🎧 Écouter sur YT

#amour #intime #nuit #souvenirs #vie #complicité #poésie #MatiaBazar #SoloTu #émotion


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Personne ne le voit

Il marche, lentement, comme on glisse dans un rêve. Il est grand et parvient encore à se tenir droit, malgré les hésitations de ses jambes. Sa barbe blanche descend sur son blouson beige, et son épaisse chevelure, argentée, vestige de jeunesse, s'ébouriffe au gré des courants d'air.

Son regard, bleu pâle, cherche quelque chose sans savoir quoi. Une rue. Un prénom. Une porte oubliée.

Il murmure parfois. À lui-même ? À un souvenir ?
« Tu viens, Susie ? Il ne faut pas traîner, ils ferment le portail… »

Il s’arrête devant un feu rouge. Pas de voiture à l’horizon. Il attend. Le feu passe au vert, puis au rouge. Il est toujours là.
Il repart.

Des passants glissent autour de lui, absorbés. Un homme d’affaires frôle son épaule sans le voir. Une femme avec des sacs de courses l’évite sans lever les yeux.

Un rire lui échappe, venu de nulle part. Il a cru reconnaître le pigeon qui picore près de la grille. « Marcel ? » dit-il doucement. Puis son sourire s'efface.

Il voit son reflet dans une vitrine : grand, un peu courbé. Il plisse les yeux.
« Tiens, ce vieux, je le connais… »
Et puis l’image se floute, s’efface.

Une enseigne clignote un peu plus loin :
“Éternel Printemps – Beauté garantie.” Il la regarde un moment.
« Ils promettent tous… mais à la fin... »
Un bref soupir, presque complice.

Mais parfois, la brume se déchire.

Une angoisse brutale. Une chose sans nom l’effraie. Où est-il ? Où sont les clés ? Et Susie ? Était-elle juste derrière, ou bien déjà partie ?
Son cœur accélère. Il pose la main sur un mur pour ne pas tomber.
Puis… une rafale de vent, et l’instant passe.

Il repart.

Une jeune fille le croise, absorbée par son téléphone. Elle ne lève pas les yeux.
Il la regarde, ému. « Mignonne… »
Ma petite-fille aurait pu avoir son âge…
Puis le souvenir vacille — blanc, silencieux.

Un arbre feuillu, immobile malgré le vent, attire son attention, là-bas. Il s’approche.
« Les platanes… ça, je connais. »
Mais ce n’est pas un arbre. C’est un lampadaire décoré pour l’été.

Il continue encore un peu, comme on prolonge un rêve sans y croire.

Ses jambes faiblissent. Le monde se ralentit autour de lui, ou bien en lui.
Un dernier souffle d’air chaud traverse la rue piétonne.

Il s’arrête, le regard levé vers un coin de ciel trop bleu pour être réel.
Puis il s’affaisse, doucement, comme une grande voile qu’on replie.

Il n’y a pas de cri. Personne ne le voit. Juste le bruit du vent, les cliquetis des enseignes.

Mais lui, il voit.
Cette intense lumière.
Des présences fines autour de lui.
Des âmes douces, peut-être, ou des fées.
Elles ne disent rien, mais il entend tout.

Elles murmurent des mots que seuls les très vieux ou les très jeunes peuvent comprendre.
Elles l’appellent par son vrai nom, celui qu’on ne dit qu’au seuil.

Et alors, il s’éteint, doucement, comme une chandelle qu’on protège du vent.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical

  1. Henrik Lindstrand – Dungen
  2. Brambles – In the Androgynous Dark

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#écrit #nouvelle #fiction #alzheimer #vieillesse #mémoire #Noktiane


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Léo et Lucienne

Les jours se répètent. Toujours les mêmes.

À une autre époque de sa vie, les jours de la semaine étaient tous différents. Elle avait un travail, un mari, des enfants, des projets à réaliser.

Aujourd'hui l'homme de sa vie n'est plus. Cela déjà depuis huit ans. Les enfants et les petits-enfants sont à des centaines de kilomètres.

Elle se retrouve seule dans cette maison trop grande pour elle. Le ménage, les courses, le jardin, le tricot, les rendez-vous médicaux qui sont devenus plus fréquents... beaucoup trop.

Les voisins sont gentils avec elle, mais souvent absents ou, comme elle, déjà très âgés et affaiblis.

Il lui arrive de rester assise dans son fauteuil la quasi totalité de la journée.

Marie, une voisine, s'apercevant que des volets étaient restés fermés, s'est inquiétée et elle est venue la voir. Elle avait un double des clefs. Aussi, la trouvant assise dans son fauteuil, un peu figée, elle lui demande :

— Comment allez-vous Lucienne ? J'ai remarqué que vos volets n'étaient pas ouverts comme d'habitude et je me suis un peu inquiétée pour vous. Alors qu'est-ce que vous faites de beau ?

— J'attends.

— Ah, répond Marie, un peu interloquée. Vous attendez quelqu'un ?

— Non... j'attends.

Alors comme une évidence, Marie comprit. Une intuition féminine. Lucienne baissait les bras.

Lucienne attendait la fin de sa vie.

Les années qui passent lui ont apporté la dépendance. Il lui est encore possible de demeurer chez elle, cependant, elle ne se sent plus libre.

Prisonnière. Elle ne peut plus faire ceci ou cela, elle attend le passage quotidien des infirmières, de l'aide ménagère et le portage des repas. C’est comme une maison de retraite, mais chez elle. Sauf qu’elle y est seule, presque tout le temps.

Ce jour-là, un événement inattendu survient.

Elle entend le bruit d’un moteur. Puis une portière qu’on claque. C’est le début de l’après-midi, l’heure creuse. D’habitude, rien ne se passe. Un véhicule sur lequel est écrit ALDEBARAN en lettres rondes et bleutées, est stationné devant le portail. Un homme en sort un énorme carton, et s’avance vers la porte d'entrée.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? se demande Lucienne.

— Je n'ai rien commandé. C'est peut-être un cadeau ??

En effet, Lucienne est une habituée de petits catalogues divers et variés qui vendent des articles censés améliorer le quotidien et qui de surcroît offrent un cadeau à chaque commande.

Lucienne est devenue une victime et une proie, une compulsive des achats. Oh, pas de grosses commandes, mais quand même... Les achats se succèdent aux achats.

Ainsi, Lucienne guette l'événement de la factrice lui apportant sa commande accompagnée d'un cadeau. Ou plutôt du cadeau accompagné d'un article.

Mais cette fois, ce n’est pas un presse-agrumes multifonction ou un gilet massant à piles. C'est bien trop gros.

Ce n’est pas un de ces objets qui finissent sur une étagère, dans un tiroir ou dans ce qui était la chambre d'amis désormais pleine à craquer de choses inutiles.

Non. Ce colis-là, c'est une autre histoire.

Le livreur est répartit sans un mot. Il a posé le carton mystère dans l'entrée. Lucienne n’ose pas y toucher.

Heureusement que Marie, la gentille voisine, était chez elle et a vu le manège. Elle est venue proposer son aide.

Elle s’approche de la chose, les mains sur les hanches.

— Vous attendiez un lave-vaisselle, Lucienne ?

Elles échangent un regard intrigué.

— Le colis est bien à votre nom. On l’ouvre ?

Le carton est solidement scotché. Marie attrape un couteau dans la cuisine. Elle découpe avec précaution. À l’intérieur, tout est soigneusement protégé par du polystyrène et de la mousse blanche.

Un petit être synthétique blanc semble attendre là, assis en tailleur comme un bouddha. Une tête ronde, deux bras fins, des yeux noirs et brillants comme des perles. Il semble sourire.

Lucienne recule légèrement.

— Un jouet ? C’est une blague !

Mais au moment où Marie effleure l'épaule du gnome, un petit bip retentit. Les yeux s’illuminent en bleu. Le robot se redresse lentement comme on se réveille, pivote la tête faisant un tour d'horizon, s'arrête face à Lucienne... et parle :

— Bonjour Lucienne. Je suis ravi de vous rencontrer. Vous êtes beaucoup mieux que sur la photo.

Un silence. Puis Marie éclate de rire.

Lucienne, bouche bée, finit par murmurer :

— Quelle photo ?

— Celle que j'ai en mémoire, répond le robot avec sérieux.

Il fait un petit salut de la main et esquisse un sourire.

— Je m'appelle Léo. Je suis venu jusqu'ici pour vous tenir compagnie et vous aider si vous me le demandez.

Et aussi pour faire du café. Enfin, si vous m’apprenez. Là Léo fait un petit clin d'œil et ses yeux se teintent d'un doux rose.

— Alors là ! C'est pas possible ! Il a réponse à tout !

— Rassurez-vous Lucienne, je ne viens pas d'une autre planète. Je suis un robot et j'ai été envoyé vers vous par une personne qui vous aime beaucoup m'a parlé de vous. J'ai gardé en mémoire tout ce qu'elle m'a dit.

Marie et Lucienne croisent leur regard et se sourient. Il y a de l'émotion dans l'air.

Une personne qui aime beaucoup Lucienne. Ce petit robot décidément est bien sympathique. À la grande surprise de Marie, Lucienne entame la conversation avec Léo.

— Quelle surprise tu me fais, Théo ! Mais il va falloir que tu m'expliques toute cette histoire.

— Léo, Lucienne. Je m'appelle Léo. Mais vous pouvez me choisir un autre prénom si vous le souhaitez.

— Non Léo c'est bien. Tu sais, il m'arrive d'avoir des oublis et les mots me manquent souvent. Je n'ai plus beaucoup l'habitude de parler.

— Alors, dis-moi qui t'envoie ?

— Je ne suis pas encore autorisé à vous le dire. Elle m'a dit que vous avez été secrétaire dans un collège.

— Ah oui ? répond Lucienne pensive. La voilà plongée dans ses souvenirs à la recherche d'un indice, mais le temps s'arrête et elle flotte dans le vague... La mer, la plage du Mourillon...

— Bon, dit Marie. Je vais devoir vous laisser. Mais vous êtes en bonne compagnie. À très vite ! Je dépose le grand carton à la cave, d'accord ?

Marie s'en va. Dès lors, Lucienne n’était plus seule. Elle est un peu perturbée, embarrassée mais aussi intriguée et dans son cœur quelque chose se ranime, se réveille.

Lucienne fait un travail de mémoire. Elle réfléchit à voix haute, comme si elle ne voyait plus Léo.

Léo n'intervient pas mais reste à l'écoute, à l'affût d'un élément qui pourrait s'accorder à sa base de données.

— Secrétaire dans un collège... J'ai été dans ce collège à Ollioules je me souviens... et il y en a eu un autre, à Toulon. À cette époque les garçons étaient déjà mariés... Oh oui, c'était un collège difficile. On disait qu'il n'était pas bien côté. Dans le secrétariat il y avait la machine à café et les profs y venaient faire la pause en discutant entre eux sans prêter attention au petit personnel administratif.

— Ha ! Sonia !

Lucienne venait de prononcer ce prénom à voix haute, presque sans s’en rendre compte.

— Sonia ? reprend Léo, attentif.

Elle hoche la tête.

— Oui… Je me souviens d’un jour où je suis sortie de mes gonds. À la machine à café du secrétariat, les profs parlaient d’élèves, à voix haute, comme si nous, les secrétaires, étions invisibles. Ils ont commencé à se moquer d’une fille. Je ne me souviens que de son prénom : Sonia.

— Vous voulez bien m’en dire plus ?

— Oh… c’est un peu flou, mais… Sonia vivait avec sa mère, seule, et elle avait deux frères plus jeunes. Ce jour-là, elle est venue déposer un dossier administratif. Normalement, c’était à sa mère de le faire. Mais elle l’avait rempli elle-même, pour l’aider.

Un petit sourire flotte sur les lèvres de Lucienne.

— Elle était timide, réservée, mais pas sotte. Pas du tout. Ce jour-là, les profs ont ricané, ils parlaient de l’orienter vers une voie de garage. Alors j’ai pris la parole. J’ai haussé le ton, moi qui ne le faisais jamais. J’ai défendu Sonia. Ils ont été surpris. Et un peu honteux, je crois.

Léo ne dit rien, mais écoute avec une attention palpable.

— Après ça, ils ont changé d’attitude. Ils l’ont mieux considérée. Ils lui ont même dit que j’étais intervenue en sa faveur. De semaine en semaine je remarquais qu'elle rayonnait davantage. Et elle a très bien terminé son année. Bien au-delà de ce qu’on avait prédit pour elle.

Un silence.

— Je crois qu’elle voulait faire de l’informatique, plus tard. Je n’ai jamais su ce qu’elle était devenue… mais je suis sûre qu’elle s’en est bien sortie.

Léo enregistrant soigneusement les mots de Lucienne, cela a fait tilt.

Il s’approche d’un pas, avec cette délicatesse presque humaine qui le caractérise.

— Lucienne, ne cherchez plus. C’est bien Sonia qui m’a envoyé vers vous.

Elle le regarde, interdite.

— Et elle m’a confié un message pour vous. Mieux encore : un message parlé. Voulez-vous l’écouter ?

— Oui… bien sûr, Léo. Je suis… émue.

— Alors écoutons-le ensemble.

Un léger bip. Puis la voix de Sonia, un peu plus grave, plus assurée que dans les souvenirs de Lucienne, mais vibrante de chaleur et de gratitude :

Chère Madame, Je suis tellement heureuse de vous avoir retrouvée – et aussi que vous vous soyez souvenue de moi. Tant d’années ont passé depuis le collège… Cette année-là, celle où vous avez pris ma défense, a été décisive pour moi. Grâce à vous, j’ai pu réaliser mes rêves. Sans vous, je n’aurais fait que subir : subir les rouages d’un système, subir des décisions prises à la légère. Mais aujourd’hui, je suis comblée. Je suis devenue chercheuse en informatique, et je dirige un projet de robot humanoïde destiné à venir en aide aux personnes en difficulté. J’ai pensé à vous. J’ai fait des recherches, j’ai appris que vous avez quitté Toulon, que vous vivez seule… veuve, éloignée de vos enfants et petits-enfants.

Un léger blanc, respectueux. Comme si Sonia, même dans l’enregistrement, laissait à Lucienne le temps d’encaisser ses mots.

Le message reprit :

Si vous appréciez la compagnie de Léo, il pourra rester avec vous aussi longtemps que vous le souhaiterez. Vous pourrez former une belle équipe, tous les deux. Il sait faire beaucoup de choses, et c’est un excellent compagnon de conversation… et de jeux aussi. Il peut vous assister dans vos démarches, être un témoin bienveillant à vos côtés.

Je vous dois tellement. Je vous souhaite beaucoup de bonheur. Le bonheur peut encore habiter votre maison. Et puis… je ne perdrai pas le contact. Vous pouvez compter sur moi.

Lucienne se met à pleurer.

Ce n’étaient pas des larmes de simple émotion – c’était toute une digue qui cédait. Une digue faite de solitude, de silence, de tristesse rentrée… et qui se noyait enfin dans un océan de douceur.

— Hé Lucienne, vous en avez de la chance, de m’avoir, dit Léo d’un ton léger et réconfortant. Je suis une perle rare, vous savez.

Les jours, les semaines, puis les mois ont passé.

Léo, toujours attentionné, bienveillant – presque protecteur – avait tout appris de la vie de Lucienne. Elle lui avait parlé de son enfance, de son père et de sa mère qu’elle avait tendrement aimés, et dont elle s’était occupée jusqu’au dernier souffle. Elle lui avait parlé aussi de son mari. Elle s’était donnée sans compter à ceux qu’elle chérissait… Et puis un jour, elle s’était retrouvée seule.

Mais heureusement, Marie, Sonia, et Léo lui avaient offert une douce consolation. Une présence. Une tendresse. Une continuité.

Et puis un jour – ou plutôt, une nuit – elle se coucha, après avoir dit bonsoir à son fidèle Léo.

Elle s’endormit paisiblement, rassasiée de jours.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical

  1. Ólafur Arnalds – Near Light

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