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❤️ Anne, Gennaro, Vincent, Zézée et René

Piano

Anne et Gennaro avaient quitté l’Italie dans une période troublée par le fascisme pour trouver refuge en France.

Tailleurs de métier, ils avaient ouvert leur petit atelier de confection de costumes pour hommes, avenue Clovis Hugues. Ils travaillaient aussi comme sous-traitants et recevaient des commandes pour la Marine nationale.

Vincent, mon père, m’emmenait avec lui lorsqu’il leur rendait visite en semaine.

Nous passions par l’entrée de la boutique : une salle avec une table pour présenter les modèles dans de gros catalogues, les tissus, et une large cabine d’essayage en bois travaillé.

Puis venait l’atelier…

Anne, assise à sa machine à coudre à pédale, travaillait sous la lumière d’une lampe, même en plein jour. Face à elle, Gennaro était penché sur sa propre machine.

Au fond de la pièce, une très grande table en bois portait deux énormes fers à repasser métalliques et lourds, posés sur leur semelle, avec un manche en bois. Cette table servait à la fois pour la découpe des patrons et pour le repassage.

Pendant que papa discutait, je m’asseyais par terre et je jouais avec une petite voiture ou avec des coupons de tissu. Parfois, je m’enfermais dans la cabine d’essayage et je m’amusais des jeux de miroirs.

Papi et mamie travaillaient encore malgré leur âge avancé. Quand ils avaient débuté, les cotisations retraite n’étaient pas obligatoires ; ils durent donc prolonger leur activité.

Parfois, l’odeur âcre de la colle néoprène emplissait l’air, lorsqu’ils confectionnaient des vestes en cuir, plus difficiles à travailler.

Papi avait toutes les phalanges déformées et déviées par l’arthrose et les années de couture. Difficile de tenir une aiguille dans ces conditions. Ce devait être douloureux. Pourtant, jamais ils ne se plaignaient.

Tous les dimanches, nous leur rendions visite en famille.

Dans la salle à manger, une grande table ancienne avait un secret : on pouvait soulever le plateau et découvrir dessous… un billard ! Magique.

Papi parlait peu. Assis dans son vieux fauteuil en cuir, il tenait à la main une planchette munie d’une pince à dessin pour maintenir ses mots croisés découpés dans les journaux. À côté, sur la petite table, reposait un dictionnaire usé.

Mamie, elle, était d’une grande douceur. Papa l’adorait. C’est elle qui lui avait appris à lire et à écrire avant l’heure.

Ils aimaient la musique classique. Dans le séjour trônait un piano droit.

Zézée (diminutif de Rosaire, la famille était catholique) et René, frère et sœur de Vincent, étaient musiciens. Zézée au piano. René à la flûte traversière ou au violon.

Aujourd’hui ils ne sont plus. Je pense souvent à eux. Mon enfance et mon adolescence sont passées, le temps a filé, et je me suis éloigné. Je le regrette. J’aurais pu chercher à mieux les connaître et leur témoigner plus d’intérêt et d’affection.

Ils ne parlaient pas italien, ni de leurs racines. Je ne leur ai jamais posé de questions. Et c’est dommage…

Ce fut une intégration réussie, mais à quel prix ? Ils dirent adieu à toute une partie de leur vie. Jamais ils ne s’en plaignirent, mais ils durent sûrement en souffrir.

⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical :

  1. Franz Schubert – Impromptu en sol bémol majeur, op. 90 n°3
  2. Gabriel Fauré – Sicilienne, op. 78

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Solo tu

Dans la nuit profonde, je me suis réveillé. Je ne la vois pas, mais je sais qu’elle est là, tout près. Je l’entends respirer paisiblement.

Parfois ses rêves s’assombrissent. Le matin, elle m’en parle. D’autres fois, c’est trop douloureux, et elle garde le silence.

Notre toit est petit, modeste, à notre image. Comme cette publicité pour un café soluble : une seule cuillère suffit, pas la peine d’en rajouter. C’est ça, notre vie.

Il est quatre heures. Parfois plus tôt encore, dans le noir et le silence, j’écris quelques mots sur le clavier de mon ordiphone.

Je pense à nous. Aux joies, aux peines, aux routes traversées. Je pense aussi à celle qui s’achève. Nous savons tous les deux qu’elle se rapproche. Si seulement, ce jour-là, nous pouvions partir ensemble…

Nos vacances n’ont jamais été lointaines. Un peu l’Italie, l’Allemagne, pour retrouver nos racines ou des souvenirs de jeunesse. Rarement un hôtel. Le plus souvent, le petit fourgon de La Redoute, que j’avais aménagé pour nous trois — notre fils, notre chienne et nous. Mais surtout la France, ses paysages, ses villages, loin du quotidien laborieux.

Pas de vêtements de marque, mais ses mains savaient coudre, tricoter, embellir. Aujourd’hui encore, elle est belle, avec son élégance simple. Ses cheveux gris lui vont si bien.

Le matin approche. Une petite toux me dit qu’elle est réveillée. Bientôt, elle pensera tout haut : — Qu’est-ce que je vais faire à manger ?

L’après-midi, elle s’affaire au jardin, dessine, crée. Elle est douée pour tout. Moi aussi, j’ai mon rôle. Mais sans elle, je ne suis rien.

Tiens, ça bouge dans la chambre. C’est ma bien-aimée qui se lève. Nous allons écrire une nouvelle page, à deux cœurs et quatre mains.

Quelques lignes, quelques pages, qu’importe. Tant qu’il y aura ses mains près des miennes.


⋱⋰ ⋱⋰ ⋱⋰

◕‿◕♡ Petit clin d’œil musical :

  1. Matia Bazar – Solo tu 🎧 Écouter sur YT

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